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[Vers un Aménagement
Durable des Forêts
]

 

Produits Forestiers Autres Que Le Bois


 

les produits forestiers autres que le bois – que l’on désignait naguère sous le terme de "produits secondaires" ou "menus produits" forestiers – sont depuis des temps immémoriaux un élément important des stratégies de subsistance des populations forestières. Aujourd’hui, alors que l’on s’efforce de parvenir à une utilisation plus "écologique" des forêts, on s’intéresse de plus en plus à la récolte et à la commercialisation de ces produits en tant qu’instruments du développement durable. En dépit de cette sollicitude, toutefois, il n’y a aucune garantie de résultats positifs. L’importante masse de recherches menées par le CIFOR et ses nombreux collaborateurs sur les produits forestiers autres que le bois a fourni des enseignements utiles sur ce qui "marche", et ce qui ne marche pas.

Comme l’ont noté les chercheurs du CIFOR et d’autres, beaucoup de recherches ont déjà été faites sur les produits forestiers autres que le bois, mais les connaissances que l’on en a tirées sont étroitement limitées et portent sur des localités, des produits et des groupes d’usagers bien déterminés, ce qui limite leur utilité. Le CIFOR, au contraire, axe ses études sur la dynamique générale de la récolte, de l’utilisation et du commerce des produits forestiers autres que le bois, dans le contexte des changements sociaux, économiques et écologiques. Les conclusions devraient donc conduire à une meilleure compréhension du rôle actuel ou potentiel de ces produits comme instrument du développement et de la conservation dans des situations et selon des stratégies variées.

Un événement en 1998 a été la publication de l’ouvrage intitulé Revenus de la forêt: Méthodes de mise en valeur et de conservation des productions forestières pour les communautés locales. S’appuyant sur des études de cas réalisées par un certain nombre d’organismes, il présente des enseignements utiles sur diverses méthodes qui ont été utilisées pour évaluer l’état de la conservation et de la mise en valeur des produits forestiers dans différents contextes. L’ouvrage comprend un cadre conceptuel qui illustre la nature complexe de la mise en valeur et de la conservation des produits forestiers autres que le bois, avec les questions qui doivent être traitées à divers niveaux: ménages, marchés, institutions locales, forêt environnante.

En 1998 également, le CIFOR a entrepris une vaste étude à l’échelle mondiale destinée à fournir une idée d’ensemble sur les produits forestiers autres que le bois et sur leurs relations avec l’utilisation des terres et avec les stratégies locales de subsistance. Dans la phase initiale, le CIFOR étudie un certain nombre de produits forestiers en Indonésie sous la forme d’études de cas, en vue d’analyser les processus d’utilisation et de développement de ces produits. Des études analogues seront réalisées par la suite dans les trois grandes régions tropicales, et conduiront à des comparaisons internationales et à des conclusions largement étayées. Cette comparaison mondiale constituera le principal axe de recherche du CIFOR dans le domaine des produits forestiers autres que le bois dans les deux ou trois prochaines années.

Parmi les recherches menées en Indonésie, les chercheurs étudient les possibilités de maintenir la viabilité de la culture à petite échelle de rotang et d’arbres fruitiers dans une zone du Kalimantan oriental face aux changements dans les réglementations officielles. Le rotin était autrefois un produit très important de la région, mais la production locale s’est effondrée depuis la fin des années quatre-vingts à la suite d’une interdiction d’exportation de rotin brut afin de préserver l’approvisionnement de l’industrie nationale.

Cette initiative de recherche multiple s’inspire en partie d’une étude originale sur la dynamique du secteur du bambou en Chine, qui comporte une collaboration étroite entre. Manuel Ruiz Pérez et Brian Belcher du CIFOR et les chercheurs de l’Institut de recherche forestière subtropicale de Chine et du Centre chinois de recherche sur l’économie et le développement. Les conclusions de cette étude sont maintenant mises à profit par le Ministère des Forêts de Chine pour guider les nouvelles politiques et les appuis au secteur du bambou en Chine.

Dans une étude comparative de plantations agroforestières de dammar à Krui (Sumatra) et de la récolte de gaharu (bois odorant résineux) au Kalimantan oriental, achevée en 1998, les chercheurs ont constaté que le niveau de revenus tirés d’un produit forestier n’est pas suffisant pour prédire si la population maintiendra cette source de revenus ou l’exploitera, mais qu’il faut plutôt chercher à appréhender l’importance future attendue de cette source de revenus dans les moyens de subsistance des ménages. En conséquence, un revenu régulier mais faible tiré du dammar est plus apprécié que les revenus élevés tirés de cultures pérennes telles que le caféier, en raison de la contribution que les revenus du dammar apportent à la sécurité alimentaire des ménages.

Un point particulièrement intéressant dans l’étude sur la récolte du gaharu est la question plus générale de la manière dont des prix élevés sont susceptibles d’influer sur les incitations à aménager durablement l’exploitation d’un produit forestier. L’étude a examiné l’importance économique du gaharu pour des agriculteurs itinérants Kenyah dans trois villages. A l’heure actuelle, ce bois odorant reste parmi les produits forestiers les plus précieux commercialisés dans le monde. Les conclusions rapportées en 1998 montrent que, depuis 1993, les prix payés aux récolteurs au Kalimantan oriental pour des spécimens de haute qualité sont montés en flèche vers des niveaux sans précédent, ce qui a suscité les campagnes de récolte de gaharu les plus intensives de mémoire d’homme.

Une autre étude conduite en Indonésie porte sur la récolte et la commercialisation du benjoin (résine extraite d’un arbre appelé styrax et principalement utilisée comme encens, et en parfumerie et en médecine) dans le nord de Sumatra. Parmi les conclusions tirées à ce jour, on a constaté que le benjoin était particulièrement important pour les villageois à revenus moyens; en valeur absolue et relative, ce groupe tire du benjoin des recettes bien plus élevées que le groupe le plus pauvre. Ces résultats correspondent bien à des conclusions analogues concernant le bambou en Chine.

Le CIFOR travaille en Indonésie en partenariat étroit avec le Centre de foresterie sociale de l’Université Mulawarman à Samarinda et avec le projet FORRESASIA, programme financé par l’Union européenne et étudiant les stratégies possibles pour la mise en valeur des ressources forestières. Les recherches au Kalimantan s’appuient sur un fonds important de travaux analogues effectués dans la région par d’autres collaborateurs locaux et internationaux, notamment le WWF-Indonésie, l’Agence indonésienne de recherche-développement forestière (FORDA) et le Consortium pour la foresterie communautaire.

Le CIFOR mène également d’importants travaux sur le rôle des produits forestiers dans le développement en Bolivie et au Zimbabwe. Les études à venir porteront sur les facteurs juridiques, institutionnels et commerciaux qui influent sur le commerce des produits forestiers autres que le bois dans ces deux pays, tels que les nouvelles lois forestières, le régime foncier, la structure des villages, et la concurrence entre institutions.

Les études menées dans le nord de la Bolivie ont analysé les bouleversements intervenus dans la distribution des revenus tirés de la récolte des produits forestiers à la suite de l’effondrement du marché brésilien du caoutchouc dans les années quatre-vingts. Précédemment, les barons du caoutchouc avaient la haute main sur le commerce du latex grâce à l’emprise qu’ils exerçaient sur les péons saigneurs d’hévéas, lesquels étaient lourdement endettés et exclus des bénéfices de la vente de produits forestiers. A l’heure actuelle, la récolte et le traitement des noix du Brésil sont devenus la principale source de revenus pour de nombreux foyers ruraux. Les usines des villes voisines contrôlent le traitement des noix, et les habitants de la forêt tirent des profits financiers à la fois de la récolte des noix et du travail saisonnier dans les usines d’écalage.

Au Zimbabwe, le CIFOR participe à l’analyse des impacts économiques et écologiques du développement rapide d’un artisanat de sculpture du bois qui procure à des milliers de ruraux des revenus très nécessaires. Ce projet est réalisé sous les auspices de CAMPFIRE, programme de l’USAID qui a pour objet de promouvoir la protection de zones biologiquement menacées en suscitant l’appui de la population locale, qui pourra bénéficier de l’écotourisme fondé sur la faune sauvage et de la commercialisation des ressources naturelles. Le développement de l’artisanat de sculpture sur bois au Zimbabwe suscite des controverses, en raison du risque d’exploitation excessive de certaines essences forestières qui fournissent la matière première. Le CIFOR et d’autres partenaires de recherche étudient actuellement les questions relatives à l’aménagement rationnel des sources locales de bois, telles que réformes législatives, incitations économiques au changement, et participation locale à l’élaboration de solutions constructives.

En 1998 également, de nouvelles études de terrain ont été menées dans l’ouest de l’Amazonie brésilienne sur les productions forestières autres que le bois, et l’analyse spatiale des données provenant de la Réserve de cueillette d’Alto Juruá a débuté. Les résultats préliminaires montrent un changement dans la répartition de l’habitat de la réserve, les saigneurs d’hévéas quittant les zones écartées et les terres hautes pour s’installer sur les berges de cours d’eau plus accessibles. On a constaté également des changements dans la base économique de la région. Le caoutchouc naturel joue un rôle décroissant, tandis que certaines cultures, le bétail et les revenus du secteur tertiaire (tels que pensions et salaires de services de santé et d’éducation) accroissent leur contribution à la production de la réserve.

Dans la zone de forêt humide du Cameroun, un programme de recherche sur les produits forestiers autres que le bois mené par le CIFOR a fait ressortir une situation inattendue, montrant que les femmes de cette région jouent un rôle étonnamment important dans la récolte et la vente de produits forestiers, ce qui contraste avec leur rôle restreint dans les prises de décisions. Bien que le commerce des produits forestiers au Cameroun soit officiellement régi par des réglementations locales, on a constaté que les femmes ont une emprise considérable sur les marchés, ainsi que sur les systèmes d’épargne qui servent à financer le commerce des produits forestiers. Ces constatations ont des répercussions en ce qui concerne les changements de politique socioéconomique et l’aménagement des forêts au Cameroun – et peut-être dans d’autres régions tropicales -, parce que le commerce des produits forestieers autres que le bois apparaît comme une importante stratégie de revenus pour les femmes, qui constituent la majorité des habitants de la forêt à faibles revenus au Cameroun mais n’ont généralement pas accès à la propriété du sol ni un accès assuré aux ressources forestières.

Les études ont également démontré le rôle potentiel des marchés de produits forestiers autres que le bois dans la dégradation des ressources forestières, et souligné la difficulté d’établir un équilibre entre l’amélioration des moyens d’existence des populations tributaires de la forêt et la conservation de la forêt. Elles ont révélé une dépendance croissante des habitants des zones rurales vis-à-vis des plantes médicinales, en raison de la crise économique nationale et de la dévaluation du franc CFA.