De nombreuses causes physiques du déboisement ont
été reconnues, et elles font lobjet de nombreuses recherches visant à réduire
les dommages écologiques. Mais toutes les causes de la dégradation et de la destruction
des forêts ne sont pas directes et évidentes; les processus sociaux et les politiques
économiques jouent également un rôle important. Trier tous les divers facteurs et les
relations entre ces processus, et déterminer de quelle façon ils influent sur la
condition des forêts et de leurs habitants est une tâche ardue pour les chercheurs.
Les études du CIFOR fournissent une bonne compréhension
des impacts des influences extrasectorielles telles que politiques économiques (en
particulier programmes dajustement structurel), progrès techniques en agriculture,
et décentralisation. Une grande partie de ce travail est centrée sur une étude
comparative des changements macroéconomiques en Bolivie, au Cameroun et en Indonésie.
Dautres études importantes sont menées en Afrique orientale et en Amérique
Centrale.
En 1998, David Kaimowitz et Arild Angelsen ont publié un
ouvrage intitulé Modèles économiques du déboisement dans les tropiques: essai de
synthèse, qui a suscité un intérêt général parmi les chercheurs et les milieux
dirigeants en raison de ses conclusions dérangeantes. Résumé dans une grande revue
scientifique de la Banque mondiale, cette étude remet en cause une grande partie des
hypothèses classiques sur les causes du déboisement.
Les auteurs ont examiné les méthodologies et les
résultats de plus de 140 études économiques sur le déboisement dans les tropiques. Il
soulignent que de nombreuses conclusions doivent être considérées avec scepticisme en
raison de la qualité médiocre des données et des faiblesses dans la conception des
études. Les modèles économiques quantitatifs de déboisement ont connu une grande
faveur depuis quelques années. Si certaines de ces études fournissent des aperçus
utiles, les auteurs observent que des approches couramment utilisées, telles que modèles
de régression concernant un ou plusieurs pays, nont quune valeur limitée.
Ils recommandent de passer à des études au niveau des ménages et de la région, ce qui
devrait mieux mettre en lumière les facteurs influant sur les décisions des agents qui
interviennent directement dans lutilisation et le défrichement des forêts.
Un autre travail novateur de ce programme de recherche
remet en cause les idées couramment répandues sur lintensification de
lagriculture et son impact sur les forêts. Laxiome classique est quune
productivité agricole accrue résultant du progrès technique réduit la pression sur les
ressources forestières, et contribue ainsi aux objectifs de conservation des forêts.
Cependant les chercheurs du CIFOR ont observé de nombreux exemples dans lesquels des
innovations dans le secteur de lagriculture ont créé de nouvelles possibilités
pour les agriculteurs, qui ont en conséquence défriché des terres plus rapidement
quils ne lauraient fait autrement. En particulier, létude montre que
des technologies à forte intensité de capital adaptées aux conditions des lisières de
forêt, et une production en vue de lexportation, ont des chances dintensifier
la conversion des terres boisées.
Etant donné que les programmes dajustement
structurel ont un fort impact sur les forêts et les populations qui en dépendent, le
CIFOR étudie les impacts de tels programmes, et analyse la viabilité dautres
stratégies possibles. Il y a seulement quelques années, on considérait les populations
pauvres et leurs pratiques dagriculture itinérante comme les principaux moteurs du
déboisement, mais on sest aperçu récemment que les facteurs commerciaux et les
changements macroéconomiques peuvent avoir une incidence bien plus grande.
Des études comparatives menées actuellement en
Indonésie, au Cameroun et en Bolivie démontrent à quel point les crises économiques
nationales et les politiques macroéconomiques adoptées par les gouvernements pour y
faire face influent sur les modèles locaux de moyens de subsistance et dutilisation
des forêts. En combinant dans de nombreux cas les méthodes de la sociologie et des
données de télédétection, les chercheurs trouvent les réponses à des questions
essentielles, telles que les facteurs qui influent sur les décisions des agriculteurs au
niveau des ménages, et les rapports qui existent avec le défrichement des forêts.
En 1998, les chercheurs du CIFOR ont analysé les
résultats denquêtes menées au Cameroun pour déterminer de quelle manière les
changements dans les prix de marché et la dévaluation massive qui a suivi la crise
économique nationale des années quatre-vingts influent sur le choix des cultures
pratiquées et sur les superficies cultivées. Une conclusion importante est que, lorsque
les prix des marchés mondiaux ont chuté, les petits agriculteurs ont abandonné les
cultures dexportation telles que le cacaoyer au profit des cultures de subsistance,
et quils lont fait en défrichant davantage de terres boisées plutôt
quen utilisant des terres précédemment défrichées en vue de lagriculture -
ils ont conservé leurs cultures dexportation dans lespoir dune relance
des prix. Ce projet, réalisé conjointement avec le Département du développement
outre-mer du Royaume-Uni, étudie également dautres aspects des effets des
politiques macroéconomiques ainsi que lincidence des nouvelles lois forestières au
Cameroun.
La tendance à la décentralisation qui est de règle dans
de nombreux pays tropicaux est un autre facteur extrasectoriel qui influe sur la manière
dont les ressources forestières sont gérées, et par qui. Le CIFOR et des partenaires de
recherche tels que le Centre de recherche sur le travail et le développement agraire
(CEDLA) et le Projet bolivien daménagement forestier (BOLFOR) sefforcent de
déterminer si la décentralisation sera en définitive bénéfique pour les forêts, en
renversant les schémas historiques de contrôle par des forces puissantes qui tendaient
à accroître les défrichements et la dégradation des forêts dans les terres basses de
Bolivie.
Les conclusions initiales montrent que la décentralisation
en Bolivie a été bénéfique pour de nombreux ruraux pauvres des zones densément
boisées, du fait de leur meilleur accès aux ressources forestières, de moindres
empiétements des grandes sociétés dexploitation forestière et de ranching, et
dune voix au chapitre dans la définition des politiques. Cependant, il y a aussi de
grands obstacles qui pourraient freiner lapplication dune gestion rationnelle
des forêts, notamment une faible capacité technique locale, un appui limité de
lEtat, et des problèmes dorganisation parmi les petits exploitants
forestiers.