Le Professeur Jeffrey A.
Sayer, écologue britannique, a dirigé le CIFOR depuis sa fondation en 1993. Il se
retirera en 2001 pour poursuivre dautres activités. Il répond ici à quelques
questions sur ses huit années à la tête du centre.
En 1993 vous avez reçu pour
mandat de créer un nouveau type dinstitut de recherche, un centre sans
murs. Y avez-vous réussi ?
Comparés à la manière dont fonctionnent la
plupart des centres de recherche scientifique, nos réseaux sont plus dispersés et plus
proches de nos partenaires dans les pays tropicaux en développement. Nous collaborons
avec un ensemble de partenaires plus divers que quiconque dautre travaillant sur des
questions forestières. Mais pour ceux qui attendaient un centre sans murs au
sens dun centre de recherche virtuel totalement dépendant dInternet et
sans infrastructure -, ce peut être une désillusion. Nous nous sommes vite rendu compte
quil nous fallait avoir quelque part une masse critique intellectuelle
pour faire fonctionner les partenariats de collaboration, et avoir une capacité
institutionnelle pour apprendre et adapter, et un degré élevé dinteraction
collégiale. Notre siège de Bogor nous a permis davoir cela.
Quels sont les principaux points
forts du CIFOR ?
Sans aucun doute, notre plus grande force est
notre excellent personnel et le réseau de partenaires dans les organisations de recherche
collaborant avec nous. Ils travaillent tous en équipe, et sont très motivés. Ils
communiquent tous bien entre eux et montrent une grande volonté dapprendre et de
confronter mutuellement leurs idées. Qui plus est, nous partageons une même vision des
résultats que nous cherchons dans laménagement et la protection améliorés des
forêts des pays tropicaux. Nous avons aussi eu la grande chance davoir un Conseil
dadministration qui est très engagé, divers et prêt à accueillir de nouvelles
approches dans la conduite de la recherche.
Vous dites que le personnel partage
la vision du CIFOR sur les forêts tropicales. Quelle est cette vision ?
Elle commence par la reconnaissance du fait
que les forêts tropicales ont de multiples fonctions qui doivent être équilibrées et
prises en compte pour améliorer la vie des populations pauvres qui y vivent, tout en
protégeant les multiples services écologiques importants fournis par les forêts. Le
CIFOR estime aussi quil ny a pas de solution unique aux problèmes complexes
des forêts tropicales, et que les solutions doivent être adaptées aux conditions
particulières de chaque type de forêt. Cela diffère de lapproche traditionnelle
de laménagement forestier en usage dans le passé, qui était marqué par la
prédominance de lEtat exerçant direction et commandement. Le CIFOR veut voir
comment une redistribution du contrôle du centre vers les populations forestières peut
être effectuée au mieux en améliorant les capacités des populations locales
pour quelles puissent proposer leurs propres solutions, mais avec des contrôles et
des régulations pour assurer le respect de lintérêt général et le maintien de
la stabilité à long terme.
Quelles sont les réalisations les
plus marquantes du CIFOR jusquà ce jour ?
Sans aucun doute de nombreux secteurs
particuliers de notre recherche ont eu un impact notable, par exemple lélaboration
de critères et indicateurs de laménagement forestier ou le travail du CIFOR sur
les causes du déboisement. Ces résultats spécifiques, et dautres, ont entraîné
un changement dans la manière dont de nombreuses institutions nationales et
internationales font leur travail. Mais dans lensemble, je pense que le résultat le
plus important du CIFOR est que nous avons changé la manière dont dautres
considèrent les problèmes forestiers et les besoins de recherche forestière. On parle
depuis longtemps dapproches globales, dinfluences
extra-sectorielles et de multidisciplinarité pour traiter les
problèmes de forêts et autres ressources naturelles. Mais le CIFOR est lun des
premiers à sêtre demandé ce que cela signifie en réalité, et à
lincorporer dans sa manière de travailler. Jaime à penser que le CIFOR a
été le catalyseur de changements dans lapproche scientifique dinstituts de
recherche et duniversités du monde entier.
LIndonésie, avec ses forêts
renommées, semble être le pays hôte idéal pour le CIFOR. Mais le bilan de la
protection des forêts est loin dy être exemplaire. Ce fait, et les troubles
économiques et politiques que traverse le pays, ont-ils entravé le CIFOR dans son
travail ?
On peut trouver en Indonésie à peu près
tous les types de problèmes relatifs aux forêts, de sorte que cest vraiment un
laboratoire naturel. Il est décourageant pour nos chercheurs de voir les mauvais
traitements infligés aux merveilleuses forêts indonésiennes, pour diverses causes
profondément enracinées depuis des décennies. Mais cela a-t-il créé des problèmes
spéciaux pour le CIFOR ? Je dirais que non. Personne na tenté de nous museler
ou de simmiscer dans notre travail. Nous avons toujours honnêtement rapporté ce
quont montré notre travail de terrain et nos recherches, et ne nous sommes pas
sentis entravés. La pénurie de ressources humaines, techniques et financières dans de
nombreuses institutions dIndonésie, notamment celles concernées par les forêts, a
limité notre capacité dappliquer les résultats de notre travail. La réalité est
que si vous voulez résoudre des problèmes difficiles, il vous faudra vraisemblablement
travailler dans des endroits difficiles, pour trouver des solutions adaptées aux
conditions locales. Il ny a pas de solutions techniques simples aux problèmes des
forêts tropicales. Les choix techniques doivent être adaptés aux contextes économiques
et sociaux locaux, et je pense que notre implantation en Indonésie nous a grandement
aidés à rester en contact avec la réalité.
Maintenant que les forêts tropicales font
depuis une dizaine dannées lobjet dune attention scientifique accrue,
voyez-vous un progrès notable dans la manière de traiter les problèmes que vous avez
évoqués ?
Pas autant que je laurais espéré. Des
gens investissent des sommes considérables pour traiter les symptômes du mésusage des
forêts sans avoir la capacité scientifique voulue pour comprendre les problèmes réels
de fond. Les investissements en recherche forestière sont insuffisants, et la qualité et
lopportunité dune grande partie des recherches sont médiocres, et dans de
nombreux pays la capacité nationale de faire de la recherche forestière se dégrade au
lieu de saméliorer. Beaucoup sont déçus de voir que les sommes énormes
englouties au cours de la dernière décennie dans des projets classiques
dassistance technique pour laménagement et la conservation des forêts aient
produit aussi peu de résultats. Je pense que la cause en est pour une bonne part dans les
modèles dassistance internationale au développement du passé. Les donateurs ont
souvent répondu aux problèmes forestiers en envoyant des équipes dexperts armés
de solutions toutes faites plutôt que de fournir un appui pour aider les chercheurs
nationaux à renforcer leur capacité de résoudre les problèmes eux-mêmes.
Lassistance reflétait le plus souvent les vues des pays riches sur ce qui était
bon pour les forêts des pays pauvres. Le temps, lénergie et les ressources
limitées des institutions nationales ont été gaspillées pour répondre aux programmes
sans cesse changeants des donateurs. Cela a freiné le développement dune capacité
nationale. Le partenariat étroit du CIFOR avec des collaborateurs de nombreux pays en
développement aide à constituer une certaine capacité scientifique. Mais nos efforts
sont très modestes au regard des immenses besoins.
Quel avenir attend le CIFOR ?
Je suis certain que le monde a besoin du
CIFOR et du genre de travail quil accomplit, mais quels changements organisationnels
peuvent intervenir eu égard à la position du CIFOR tant dans le réseau GCRAI que
sur larène internationale -, cela est difficile à prévoir. A mesure que la
communauté forestière se détournera de solutions passe-partout et
reconnaîtra la nécessité de solutions élaborées localement, le CIFOR pourrait jouer
un rôle essentiel, notamment par ses recherches sur des stratégies daménagement
plus centrées sur les populations. Mais la base scientifique de laménagement
forestier doit être élargie mondialement dans de larges proportions. Le CIFOR est bien
placé pour y aider, et jaimerais voir fortement amplifier notre présence en
Afrique et en Amérique du Sud afin de répondre aux besoins de ces régions.
Quels conseils donneriez-vous à
votre successeur ?
Mon message est très simple : le succès du
CIFOR est conditionné par le recrutement de chercheurs et de personnel dappui les
meilleurs possibles, en créant les conditions qui leur permettent de travailler de
manière collégiale et avec une vision commune de ce que le CIFOR cherche à réaliser,
et ensuite laisser les choses se faire, avec un minimum dintervention, pour aboutir
au résultat souhaité. Il est essentiel de sassurer que le personnel soit divers et
mutuellement tolérant, représentant un large éventail de points de vue sur les forêts
et ce quelles représentent pour des catégories différentes de gens.
Jexhorterais mon successeur à éviter la bureaucratisation qui étouffe
linitiative et lesprit dentreprise dans de nombreuses institutions
internationales à mesure quelles évoluent vers leur maturité. Dans notre
programme de recherche nous critiquons les approches autoritaires des problèmes
forestiers, et cela devrait sappliquer aussi bien à la conduite du CIFOR en tant
quinstitution. Le CIFOR doit être un lieu où il soit stimulant mais agréable de
travailler un endroit où les chercheurs les meilleurs et les plus motivés dans le
monde aspirent à venir.
Quels sont vos projets pour
lavenir prochain ?
Je
continuerai à faire ce que je fais depuis 30 ans
: chercher les possibilités dapporter
des améliorations pratiques dans la conservation des forêts importantes. Mais
jespère pouvoir être plus directement engagé, pour un temps assez long, dans un
travail destiné à protéger certaines forêts très
particulières pour apprendre à réellement les connaître et savoir ce quil
faut faire. Je suis particulièrement
intéressé par les forêts qui font partie décosystèmes insulaires et
montagnards, et jespère passer quelque temps en Indonésie orientale et dans
lHimalaya. Et comme jaime écrire, je désire passer quelque temps à écrire
sur les approches à adopter pour aborder certains problèmes difficiles de conservation
des forêts.
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