Accroître les bénéfices des produits forestiers
Depuis une vingtaine dannées les
gouvernements, les organismes de développement et les ONG de défense de la nature
encouragent lexploitation et la vente de produits forestiers comme stratégie pour
accroître les revenus des populations pauvres des tropiques. La mise en valeur des
produits forestiers est également préconisée comme étant écologiquement peu
dommageable hypothèse qui peut ne pas toujours être exacte.
Une masse considérable de recherches a été
effectuée pour mieux connaître les usages des produits forestiers et leur
commercialisation, cependant beaucoup ont porté sur des cas isolés, et les méthodes
danalyse sont très variables. Il en résulte que les conditions sont difficiles à
extrapoler, et peuvent même conduire à des résultats contradictoires.
Actuellement, le CIFOR et 60 partenaires de
recherche de 27 pays sont engagés dans un grand projet qui a pour objet de mettre au
point une technique plus systématique pour analyser divers cas de développement de
productions forestières en vue de mieux déterminer les facteurs qui sont en rapport avec
les résultats des efforts de développement. Les chercheurs testent et affinent la
nouvelle méthodologie en comparant des dizaines détudes de cas en Asie, en Afrique
et en Amérique Latine
Selon Brian Belcher, chef du projet,
lobjectif est de fournir en définitive une information plus sûre sur la nature des
conditions et les types de produits forestiers qui sont les plus favorables pour les
investissements. Les produits forestiers sont importants parce que beaucoup de gens
les utilisent, notamment parmi les plus démunis. Mais accroître la valeur des produits
forestiers, ce à quoi visent en général les programmes de développement, nest
pas toujours la meilleure réponse, explique-t-il. Certains produits
forestiers nont guère quune valeur marginale. Les gens peuvent avoir
dautres possibilités plus valables économiquement.
Nous voulons fournir un guide pour
déterminer quels sont les cas les plus favorables pour entreprendre un développement, et
signaler ceux sur lesquels il vaut mieux ne pas faire dinvestissements, ajoute
Belcher, chef du programme du CIFOR Produits forestiers et population. Il dirige le volet
Asie du projet, tandis quOusseynou Ndoye et Patricia Shanley, chercheurs du CIFOR,
coordonnent les études de cas en Afrique et en Amérique Latine.
Lannée dernière, les partenaires de
recherche se sont réunis en Indonésie, au Cameroun et au Brésil pour discuter leurs
divers cas et sinitier aux méthodes pour une collecte et une analyse uniformes des
données. Les cas individuels qui concernent des produits aussi divers que rotin,
papillons, miel, noix du Brésil et plantes médicinales ont été choisis parce
quils présentent un intérêt commercial et ont déjà été étudiés assez en
détail, de sorte que lon peut faire appel aux données existantes pour
létude.
Les chercheurs enregistrent
linformation sur les produits en utilisant un ensemble normalisé de
caractéristiques qui décrivent toutes les phases du processus de développement
depuis la production et la transformation jusquà la commercialisation et aux
marchés. Le produit forestier est-il cultivé ou à létat sauvage ? A-t-il
subi une transformation poussée ou est-il vendu à létat brut ?
Commercialisé surtout localement ou régionalement ? Soumis à une réglementation
lourde ou légère ?
Les chercheurs utilisent des techniques
variées danalyse pour comparer les différentes études de cas. A partir de là,
ils peuvent discerner les modèles de développement et les caractéristiques qui
savèrent influer sur les résultats des efforts de commercialisation - information
qui pourrait aider à rendre plus efficaces les investissements et concernant les
interventions.
Pour les partenaires africains, une
plus large perspective
Le volet africain du projet du CIFOR sur la
méthodologie pour les produits forestiers consiste en 21 études de cas, allant
dune chenille comestible (Imbrasia oyemensis)
qui est consommée par 60 pour cent de la population de la République Centrafricaine à Prunus africana, arbre très recherché qui a une
large gamme demplois domestiques et des vertus curatives, notamment lécorce
qui sert à traiter les affections de la prostate.
Ousseynou Ndoye, chef du Bureau régional du
CIFOR à Yaoundé (Cameroun), déclare que les chercheurs africains sont très
enthousiastes pour le projet : ils ont le sentiment que la comparaison à échelle
mondiale donne plus de valeur à leurs études de cas individuelles. En outre, ils sont
heureux davoir affaire à une nouvelle approche le cadre conceptuel
dans lanalyse de leurs études de cas. Ci-dessous quelques commentaires de
chercheurs qui ont participé en mai à une réunion de travail pour lancer létude
:
Le projet permettra une comparaison
entre différents pays. Par exemple, je rassemble des éléments sur une étude de cas au
Gabon portant sur le rotang, qui pourra être comparée à dautres études sur le
rotang dans différents pays dAfrique
Jean-Pierre Profin
Ministère des Eaux et Forêts, Libreville (Gabon)
Participer à ce projet maide
à replacer mon travail dans une plus large perspective.
Louis Dalo
Université de Yaoundé (Cameroun)
Un résultat positif sera la
formulation de meilleures politiques pour les produits forestiers
autres que le bois.
Dominique Blay
Institut de recherche forestière du Ghana
Cameroun : ramener les résultats de la
recherche vers le site dorigine
Au cours de leurs travaux dans les tropiques,
les chercheurs rassemblent une grande masse dinformation. Mais il est rare
quils retournent sur leurs sites détude pour partager les résultats
quils ont acquis avec la population locale qui pourrait en bénéficier directement.
Cela risque de laisser les communautés désillusionnées, et à la longue den avoir
assez de la recherche.
Les chercheurs du CIFOR qui étudient la
commercialisation des produits forestiers au Cameroun veulent en finir avec ces pratiques.
Faisant équipe avec Tropenbos Cameroun, ils organisèrent en avril 2000 un séminaire
pour les agriculteurs locaux, les commerçants et les représentants dONG rurales
près de Yaoundé pour exposer les conclusions de leurs études de marché. Environ 45
personnes y participèrent.
Les chercheurs du CIFOR recueillent des
données sur les marchés locaux environ 6 fois par an. Ils expliquèrent lors du
séminaire de quelle façon les agriculteurs et les commerçants peuvent utiliser cette
information pour améliorer leurs propres stratégies commerciales et accroître leurs
revenus familiaux. Les sujets de discussion portaient sur la spécialisation des produits,
la dépendance vis-à-vis de marchés proches ou au contraire éloignés, et les questions
demmagasinage, de transformation et de valeur ajoutée des produits.
Les participants eurent dautre part une
leçon sur les conséquences dune récolte inconsidérée. Nicole Chaungueu, de
Tropenbos, prit comme exemple le cas de Garcinia
lucida, dont lécorce fait lobjet dun commerce intense au Cameroun,
parce quelle est employée pour la fermentation du vin de palme. Dénonçant les
dangers dune surexploitation, Chaungueu montra des photos de sites où la moitié
des sujets de Garcinia lucida étaient morts.
Elle expliqua ensuite comment lécorce peut être prélevée sans tuer les arbres.
Les participants déclarèrent quils
étaient satisfaits de ce quils avaient appris lors du séminaire, et demandèrent
au CIFOR den organiser dautres semblables. La plus grande partie de
linformation quils ont acquise devrait les aider à lavenir à mieux
commercialiser leurs produits forestiers. Par un effet multiplicateur, les participants du
séminaire présentèrent linformation quils en avaient tirée à
dautres agriculteurs et marchands dans leurs villages et sur leurs marchés
habituels.
Quel avenir pour les jardins de
rotang dIndonésie ?
Haji Sulaiman vit dans une région du Sud
Kalimantan (Indonésie) où les villageois cultivent le rotang depuis un siècle ou
davantage. Comme pour de nombreux autres foyers du lieu, la production de rotin procure à
sa famille une vie aisée. La forte demande du Japon fait de la fabrication des nattes de
rotin (lampit) une importante industrie
artisanale, et Sulaiman a même inventé une machine pour percer des trous dans le rotin
refendu, qui lui a valu une importante récompense du gouvernement.
En 1987, encouragé par les autorités
locales, il emprunta de largent pour accroître sa production. En 1991, cependant,
il se trouva en faillite et son affaire de lampit fut
fermée, tandis quil doit encore rembourser sa dette.
Sa situation reflète le caractère
éminemment fluctuant de la production de rotin au Kalimantan, et en Indonésie en
général, au cours des deux dernières décennies. Autrefois source essentielle de
revenus pour de nombreux petits agriculteurs, les jardins de rotang ont été
sapés par les très bas prix. Lindustrie des lampit,
dont lIndonésie était autrefois le principal producteur, sest pratiquement
effondrée.
Un consortium de chercheurs du CIFOR et de
plusieurs organismes partenaires étudie la dynamique qui a fait des jardins de rotang
jadis prospères une activité économique maintenant marginale en beaucoup
dendroits. Une combinaison de facteurs entre en jeu.
A partir des années 1980, le gouvernement
introduisit une série de politiques qui interdisaient lexportation du rotin et
restreignaient les investissements étrangers dans son industrie, officiellement dans le
but de protéger la ressource et de promouvoir lindustrie de transformation
nationale. Cette interdiction fit chuter les prix et la demande ; les prix de la matière
première ont peu changé en valeur nominale depuis 1987, et ont diminué en valeur
réelle. Les producteurs locaux de rotin y ont perdu, tandis que les prix artificiellement
bas offraient aux transformateurs locaux essentiellement une subvention sur le coût de la
matière première.
Entre temps, de nombreux jardins de rotang
ont été remplacés par des plantations et autres spéculations agricoles, les
agriculteurs se sont tournés vers dautres activités, et les fréquents feux de
forêt ont détruit de grandes surfaces de rotang.
Les chercheurs travaillent pour déterminer
quelles politiques et quelles conditions pourraient renverser le mouvement et faire des
jardins de rotang à nouveau une source intéressante de revenus, notamment dans les
villages où les habitants ont peu dautres perspectives de gains.Une renaissance de
lindustrie pourrait-elle être appuyée, et comment ? Ou bien les jardins de
rotang sont-ils dépassés et non-économiques dans lenvironnement changeant
daujourdhui ?
Les bénéfices écologiques sont cités
parmi les arguments en faveur dune restauration des jardins de rotang, qui se
trouvent généralement au sein de grands écosystèmes forestiers. Les jardins de
rotang ont une grande importance pour la biodiversité par comparaison avec les
plantations de palmiers à huile ou dhévéas, explique Rita Mustikasari,
chercheuse du CIFOR, qui mène des études sur le rotang dans plusieurs provinces
dIndonésie. Le rotang est une plante grimpante qui nécessite de grands
arbres pour se développer. Cest pourquoi les jardins de rotang fonctionnent
comme des forêts secondaires qui procurent un habitat pour de nombreux produits
forestiers différents.
Dun point de vue social, également,
les jardins de rotang offrent un certain nombre davantages. Ils constituent une
forme dépargne pour de nombreux villageois, qui peuvent récolter le rotin
lorsquils ont besoin dune source dargent frais pour payer les redevances
scolaires, parer à des dépenses durgence ou répondre à dautres besoins
familiaux.
Dans une communication présentée en 2000 à
un colloque international, les chercheurs soutiennent que les jardins de rotang du
Kalimantan sont fondamentalement résilients, et pourraient être plus compétitifs
économiquement si les conditions étaient équitables. Parmi les réformes de
politiques quils suggèrent figure la réduction des barrières qui ont entraîné
la chute des prix de la matière première.
La délégation de pouvoirs se traduit-elle
par de plus grands avantages pour les populations locales ?
De nombreux gouvernements dAsie ont
depuis une vingtaine dannées délégué leur autorité aux communautés locales,
pour tenter daméliorer la gestion des forêts et de donner des pouvoirs aux usagers
de la forêt, afin de les aider à améliorer leurs conditions de vie. Juger de
lefficacité de ces efforts est malaisé en raison des différences dans les
espérances, les objectifs et les interprétations. Le Programme du CIFOR sur la Cogestion
adaptative recherche des réponses plus fiables grâce à des études de cas de
délégation de pouvoirs sur 36 sites en Inde, en Chine et aux Philippines.
Les chercheurs évaluent les politiques de
délégation de pouvoirs en fonction des demandes et des aspirations des usagers de la
forêt. Y a-t-il un plus large accès aux ressources forestières ? La population
locale tire-t-elle des avantages accrus de la forêt pour contribuer à ses besoins
élémentaires ? Qui prend la plupart des décisions sur lutilisation de la
forêt ? En dépit de différences locales, les chercheurs ont trouvé dans les trois
pays des schémas communs.
Contrairement aux craintes des détracteurs,
la délégation de pouvoirs a eu pour effet un accroissement du couvert forestier et de la
qualité des boisements. Elle a aussi légitimé un contrôle local sur certaines
décisions relatives à la forêt. Mais sur la plupart des sites dans les trois pays, la
délégation de pouvoirs nest pas parvenue à répondre aux intérêts des
habitants. Même là où les droits forestiers ont été étendus, laccès et les
bénéfices se limitent principalement aux besoins de subsistance, les droits commerciaux
notamment pour le bois duvre étant restreints.
Dans presque tous les cas, les services
forestiers ont maintenu leur contrôle par les décisions daménagement, les
organisations locales, et les taxes et règlements. Les résultats montrent que, en
général, les politiques de délégation de pouvoirs ont changé la manière dont les
gouvernements centraux contrôlent la gestion des forêts, plutôt que de réaliser un
véritable transfert dautorité aux usagers locaux de la forêt, note David Edmunds,
co-auteur dun ouvrage en préparation sur ces conclusions.
Avec la délégation de pouvoirs, les
services forestiers ont acquis davantage de savoir-faire pour engager les communautés
locales dans la gestion des forêts, explique Edmunds. Cette participation, cependant, est
encouragée dans le but non pas de donner des pouvoirs aux communautés, mais de répondre
aux propres intérêts des services forestiers. Au titre des mesures de gestion
forestière conjointe en Inde, par exemple, une grande part des terres forestières
dégradées revendiquées par lEtat en vue du reboisement lont
été au détriment des surfaces de pâturages, des services écologiques et
dessences appréciées par les populations locales. La tâche de protection
des forêts est souvent transférée aux usagers forestiers, tandis que les fonctionnaires
forestiers se réservent de décider déléments importants tels que le choix des
essences à planter, le moment des coupes, le lieu des ventes, et la gestion des
profits, déclare Edmunds.
Les chercheurs estiment que certains des
principaux bénéfices de la délégation de pouvoirs sont indirects. A mesure que les
usagers forestiers locaux acquièrent clarté et légitimité daccès aux forêts,
ils reçoivent une assistance considérable dONG, duniversités et de
programmes officiels sous la forme dinitiation juridique, de formation en matière
dorganisation communautaire, de développement de petites entreprises et de
techniques agroforestières, et autres susceptibles daméliorer leurs moyens
dexistence et de renforcer la société civile.
Létude recommande vivement des
changements dorientations dans un certain nombre de domaines afin daméliorer
les bénéfices de la délégation de pouvoirs pour les communautés locales. Parmi les
mesures recommandées figurent les suivantes :
·
Définir des droits de propriété plus
clairs et moins restrictifs au niveau local.
·
Créer des possibilités de prises de
décisions pluralistes et procurer aux groupes dusagers forestiers les plus
désavantagés les moyens dinfluer sur les politiques.
·
Inclure des dispositions en vue de
développer les capacités locales dans des domaines tels que savoir-faire technique,
commercialisation, organisation, communication, notions juridiques, mobilisation
politique.
·
Transférer lobjet des interventions
de lEtat et des ONG des aspects de techniques et de gestion forestières vers les
processus politiques qui sy rapportent.
Il y a vingt ans les politiques de
délégation de pouvoirs étaient prônées comme des remèdes universels tant pour les
services forestiers que pour les usagers locaux, déclare Edmunds. Nous savons
maintenant que si la délégation de pouvoirs apporte certains avantages communs, des
compromis sont également inévitables.
Informer en vue dun impact local
Une étude de cas en Amazonie brésilienne
montre comment les communautés rurales, lorsquon leur présente des connaissances
scientifiques fiables, sont souvent disposées et même empressées à
modifier leur mode dutilisation des ressources forestières pour en assurer la
pérennité.
Dans lest de lAmazonie, le nombre
dessences exploitées est passé en 30 ans de 20 à plus de 300. Nombre dentre
elles sont dimportantes sources daliments, de fibres et de médicaments
utilisés localement. A lheure actuelle, les 15 essences les plus appréciées dans
la zone détude comme source dhuile médicinale ou parce quelles
attirent le gibier sont abattues par les exploitants forestiers.
Dans le cadre de son étude de longue durée
sur laménagement des productions forestières autres que le bois dans une zone de
bordure le long du Rio Capim, Patricia Shanley, chercheuse du CIFOR, a aidé les
populations locales à comprendre ce que la perte de certaines essences forestières
signifierait en matière de santé et de nutrition.
Les habitants de la région voyaient dans
lexploitation forestière une source importante de revenus en argent. Mais ils
navaient pas une information suffisante pour peser les avantages et les
inconvénients de vendre les arbres pour leur bois au lieu de les conserver pour leurs
autres bénéfices. Le travail de Shanley fait ressortir de nombreux bénéfices
cachés qui nétaient pas pleinement reconnus.
Un seul pied de bacun (Platonia
insignis), par exemple, peut produire annuellement suffisamment de ses fruits
délicieux utilisés pour faire des crèmes glacées, des jus de fruits et des
confitures pour rapporter léquivalent de 100 $EU, alors quun
arbre abattu peut ne pas rapporter plus de 2 $EU. La piquia (Caryocar
villosum) attire des centaines de kilogrammes de gibier durant la période de
floraison de larbre, ce qui procure aux familles locales une importante source de
protéines. Enfin lhuile essentielle produite par le copaiba (Copaifera
spp), qui se vend à environ 15 $EU le litre, est utilisée pour prévenir
linfection des blessures.
Armés dune telle information, les
propriétaires forestiers locaux ont durci leurs négociations avec les exploitants
forestiers, bien décidés à préserver une plus grande proportion darbres
fournissant des fruits ou attirant le gibier, et ils ont montré un plus grand intérêt
à transformer les fruits et les plantes médicinales pour leur usage personnel et pour la
vente.
Shanley déclare que les matériels
dinformation élaborés pour faire connaître les valeurs de la forêt sont
sollicités par des chercheurs et des programmes de conservation dans dautres
parties de lAmazonie brésilienne et en Equateur, en Grèce, au Mexique, au Pérou,
au Sri Lanka, en Indonésie et en Malaisie. En février 2000 elle a été invitée à
présenter son travail à un colloque organisé par le Service international de la
recherche agricole nationale à La Haye (Pays-Bas), qui a mis en lumière des méthodes
novatrices pour améliorer la capacité des communautés locales de gérer leurs
ressources.
Zimbabwe : le problème de la gestion des
ressources collectives
Depuis les années 1980, le Zimbabwe a mis en
place un système pour le contrôle local des ressources naturelles notamment les
ressources partagées telles que terrains de parcours, bois pour la construction et
lartisanat, et autres produits forestiers. Mais ce système na pas fonctionné
comme prévu, et les populations locales sen sont désintéressées.
Des chercheurs du CIFOR, de lInstitut
détudes sur lenvironnement de lUniversité du Zimbabwe et du Centre
décologie et dhydrologie du Royaume-Uni collaborent à un projet de trois ans
destiné à mettre au point une approche plus efficace. Leur travail sur deux
micro-bassins versants du district de Chivi dans le sud du Zimbabwe a fourni
dimportants résultats en 2000. Grâce à une série de réunions de travail à
linitiative des chercheurs, des fonctionnaires du gouvernement et des villageois ont
trouvé un terrain dentente et se sont mis daccord sur des changements dans
ladministration des ressources jugés mutuellement acceptables.
Cet événement a ouvert la voie à un
changement radical dautorité, passant du mode actuel de prescriptions autoritaires
et contrôle à un système de gestion largement fondé sur lapport de la
communauté, déclare Bruce Campbell, chercheur du CIFOR membre de léquipe
détude.
Au titre du plan de décentralisation mis en
place il y a plus de dix ans, le gouvernement du Zimbabwe a rendu les Conseils de district
responsables de ladministration des ressources naturelles. Les conseils
réglementent lutilisation des ressources selon un système darrêtés. Mais
ces réglementations ont été édictées par lEtat sans participation locale, et ne
traduisent pas les intérêts des communautés. En outre, les règles nont pas été
bien appliquées.
Il y avait essentiellement
disparité, déclare Campbell. Les systèmes locaux de gestion des ressources
naturelles les plus efficaces étaient fondés sur les systèmes traditionnels. En
revanche, les Conseils de district avaient le mandat légal de gérer les ressources
naturelles, mais étaient fondamentalement inefficaces.
Afin daider les communautés à
remédier à ce déséquilibre, les chercheurs organisèrent plusieurs réunions
communautaires pour des représentants des villages et des membres des Conseils de
district. Recourant à une méthodologie sociologique appelée élaboration de
scénario, les chercheurs engagèrent les différentes parties à imaginer comment
elles voudraient voir fonctionner la gestion des ressources locales, et à proposer des
changements possibles dans le cadre juridique existant, susceptibles daméliorer la
situation actuelle.
Selon Campbell, la population locale était
très enthousiaste au sujet de ces réunions. La plupart des représentants des
villages navaient jamais eu auparavant loccasion dexprimer leurs points
de vue et de discuter de telles questions avec les autorités de district,
déclare-t-il.
Dans une session finale, plusieurs groupes
présentèrent au Conseil de district des scénarios possibles pour laménagement de
diverses ressources, en relation avec leur administration. A la surprise de beaucoup, le
Conseil accueillit très favorablement les changements proposés dans la structure de la
gestion. Selon les nouvelles dispositions, son rôle serait essentiellement dappuyer
et coordonner les initiatives communautaires, et de fournir son arbitrage si nécessaire.
Nos activités de recherche ont
apporté un progrès décisif, déclare Campbell. Satisfait de lissue du
processus, le Conseil de district désire étendre le projet pilote à dautres
villages.
Administration locale et héritage de
lère coloniale
La décentralisation de la gestion des
ressources naturelles donne-t-elle réellement à des groupes auparavant marginalisés
laccès au pouvoir et aux ressources, comme le prétendent ses partisans ? Ou
bien est-elle, en fait, un moyen de servir les buts des élites nationales plus
efficacement et à moindre coût ?
Alois Mandondo, partenaire de recherche du
CIFOR, déclare que lexpérience du Zimbabwe fournit dutiles leçons. Elle a
étudié lhistorique des efforts récents de décentralisation, en remontant
jusquaux politiques dautorité indirecte sous le régime colonial. Le
gouvernement national a rendu les chefs locaux responsables de lapplication de
certaines réglementations relatives à lenvironnement. Ces règles, toutefois, ne
reflétaient pas les intérêts locaux, mais servaient les objectifs de
ladministration coloniale souvent aux dépens des populations indigènes. Les
agriculteurs, par exemple, étaient obligés de cesser lexploitation foresière
commerciale, de réduire les effectifs de leurs troupeaux, et de fournir de la
main-duvre gratuite pour des travaux de conservation des sols.
Dans un rapport intitulé Forger des
systèmes démocratiques/non démocratiques de gestion des ressources à partir des
reliques du passé colonial du Zimbabwe, Mandondo soutient quil ny a que
peu de changement. Les autorités locales restent largement soumises au bon vouloir des
dirigeants nationaux, et sont responsables devant les chefs de partis plus que devant
leurs administrés.
En 1988 les autorités de district furent
chargées, comme dans le passé, dappliquer les réglementations relatives à
lenvironnement et à la conservation. Cela était supposé accroître le pouvoir
local, selon Mandondo, mais en pratique, conclut-elle, il y eut peu de progrès en ce qui
concerne la faculté pour les communautés de fixer leurs propres règles, de tirer des
revenus des ressources naturelles locales et délire démocratiquement leurs propres
représentants.
Dans le cadre des projets CAMPFIRE, par
exemple, les communautés locales sont supposées recevoir au moins 50 pour cent des
revenus provenant des safaris touristiques. Mais les Conseils de district sont réticents
à permettre aux communautés de contrôler ces fonds.
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